Les arcanes du barème macron vus par un avocat

Rédigé le 16/12/2023


Maître François Legras, avocat en droit social au cabinet Arkello, formateur en droit du travail pour la CFE-CGC, fait le bilan pratico-pratique de l'application du Barème Macron.

INSTAURATION EN 2017

Depuis le 22 septembre 2017, dès lors qu’un licenciement est jugé sans cause réelle ou sérieuse ou, plus communément, abusif, le conseil de prud’hommes peut condamner l’employeur au paiement d’indemnités en fonction de l’ancienneté du salarié. C’est le fameux Barème Macron qui donne au juge la grille de sanction face au comportement abusif de l’employeur. Non applicable dans les hypothèses de harcèlement, discrimination ou pour violation des libertés fondamentales, ce barème laisse souvent une courte marge de manœuvre au juge prud’homal pour sanctionner mais surtout réparer ce qu’il y a réparer.

EXEMPLE DU DOMMAGE QUI EN DÉCOULE

Prenons l’hypothèse d’un salarié de 58 ans qui a quitté son emploi prospère après 15 ans dans la même société pour se lancer un nouveau défi. Après un an et demi dans une nouvelle entreprise, son employeur décide de s’en séparer car il ne donnerait pas satisfaction. Devant le conseil de prud’hommes, le salarié sera en principe cantonné à pouvoir obtenir 1 mois ou au maximum 2 mois de salaire en dommages et intérêts. Et à subir des allocations de chômage dégressives si, comme c'est probable au vu de son âge, il peine à retrouver un emploi. Le préjudice est certain, pour ne pas dire considérable.

CAS GÉNÉRAL DE LA BAISSE DES INDEMNITÉS

Concrètement, selon les études qui ont été menées, le barème a conduit à une baisse drastique des indemnités prud’homales. Les salariés ayant entre 2 ans et 5 ans d’ancienneté bénéficieraient d’une moyenne de 1,63 mois de dommages et intérêts contre 6 à 14 mois auparavant. Pour l’ensemble des salariés, l’indemnisation est passée de 7,9 mois à 6,6 mois. Comme le disait la Confédération CFE-CGC dans un communiqué de juillet 2019 sur un arrêt de la Cour de cassation, « c’est significatif et profondément inquiétant ».

Pour autant, ce barème mal conçu n’exclut pas toute indemnisation complémentaire du salarié. Dans le cadre des dossiers que nous traitons au cabinet et pour obtenir une indemnisation complémentaire, le barème oblige à identifier toutes les problématiques qui ont pu exister dans le cadre de l’exécution ou la rupture du contrat de travail.

RECOURS POSSIBLE POUR LES SALARIÉS EN FORFAIT JOURS

En ce qui concerne l’exécution, un salarié qui est soumis à une convention de forfait en jours irrégulière a tout intérêt à solliciter devant le conseil de prud’hommes sa privation d’effet ou sa nullité pour aller rechercher des rappels d’heures supplémentaires. Comme le souligne la Confédération CFE-CGC dans son guide dédié au forfait en jours et comme il est possible de le voir dans les dossiers que nous traitons au Cabinet, la mise à l’écart du dispositif de forfait en jours permet d’obtenir des indemnités complémentaires qui sont susceptibles d’être très importantes. En effet, la plupart des cadres ont une forte amplitude horaire. Généralement, le début de la journée est à 9 h pour terminer vers 19 h. Les salariés concernés ont donc la possibilité d’aller sur ce terrain pour obtenir des indemnités prud’homales plus conséquentes. Nous le disons : il faut conserver des preuves !  

RECOURS POSSIBLE EN CAS DE RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

En ce qui concerne la rupture, il va de soi que chaque dossier de licenciement suggère de s’interroger sur la possibilité qui existerait ou non d’écarter l’application du barème. Est-ce que le licenciement prononcé résulte de la violation d’une liberté fondamentale comme la liberté d’expression ? Le salarié est-il discriminé et/ou harcelé ? Ce sont des questions auxquelles il faut absolument trouver une réponse pour envisager d’obtenir des indemnités alors intéressantes.

ÉTAT DES LIEUX DE LA JURISPRUDENCE 

Il existe une grande disparité entre les juridictions de première instance (Conseils de prud’hommes) ou de seconde instance (Cours d’appel) sur l’application ou non du barème Macron. Certaines juridictions peuvent se montrer plus attentives à la multiplication des demandes indemnitaires. D’autres s’y verront réfractaires. Il est donc important de calibrer les demandes du salarié en fonction de la juridiction saisie et de s’efforcer de les justifier au mieux.

On le sait aussi, plusieurs Cours d’appel, malgré les arrêts récents de la Cour de cassation, continuent d’écarter l’application du barème en considérant, à juste titre, qu’il porte une atteinte disproportionnée au droit à réparation adéquate reconnu par la convention n°158 de l’OIT (CA Rouen, 9 juin 2022, n°19/04661 ; CA Grenoble, 9 juin 2022, n°20/0912 ; CA Douai, 21 octobre 2022, n°20/01124). Il ne peut être exclu que cette posture jurisprudentielle conduise à terme à un plus grand revirement.

POSITION(S) DE LA COUR DE CASSATION

Si malheureusement la Cour de cassation ne semble pas encore décidée – au contraire – à modifier sa jurisprudence récente sur l’applicabilité du barème, il est possible de trouver, parmi ses derniers arrêts, des axes intéressants pour aller solliciter des indemnisations complémentaires, au-delà de ce que nous avons déjà évoqué plus haut.

Deux exemples nous apparaissent pertinents.

D’une part, la Cour de cassation a pu considérer que l’octroi de dommages et intérêts pour licenciement nul en lien avec des faits de harcèlement moral ne saurait faire obstacle à une demande distincte de dommages-intérêts pour harcèlement moral (Cass. Soc., 1er juin 2023, n°21-23.438).

D’autre part, la Haute Cour semble accorder davantage d’importance au respect des libertés fondamentales du salarié en considérant qu’un licenciement est nul dès lors qu’il résulte, même en partie, de l’exercice, par le salarié, de sa liberté d’expression (Cass. Soc., 11 octobre 2023, n°22-15.138).

COMBATIVITÉ DU SALARIÉ

Nombreux sont les salariés à être découragés d’engager une procédure en contestation de leur licenciement ou, plus largement, de solliciter des avocats au moment de la rupture de leur contrat de travail. Il y a souvent la crainte d’avoir une procédure judiciaire longue et trop aléatoire.

Pourtant, il est important de rappeler qu’un licenciement doit toujours être fondé sur une cause qui doit être à la fois réelle et sérieuse. Faute de quoi, le licenciement sera considéré, à minima, comme abusif et pourra solliciter l’octroi de dommages et intérêts.

En plus, et comme nous l’avons dit, les problématiques au titre de l’exécution du contrat de travail permettent de solliciter des indemnisations complémentaires intéressantes.

Au global, il est toujours possible d’obtenir gain de cause devant la justice ou dans le cadre d’une solution amiable qui pourra être recherchée par l’avocat. En mettant de côté la question du montant, le fait d’obtenir gain de cause répare en partie le moral. Cela participe à la reconstruction personnelle et professionnelle.

François Legras